Nous séjournâmes ici XV
jours, et nous ravitaillâmes abondamment de ce que nous avions besoin. Chaque
jour, des gens venaient pour visiter notre navire, en amenant leurs femmes.
Mais ils en sont fort jaloux, car, tandis qu'ils montaient à bord et y demeuraient
long temps, ils les faisaient attendre dans les barques; et quelques pressantes
que fussent nos prières et nos promesses de cadeaux, il ne fut pas possible
qu'ils consentent à les laisser monter à bord. A plusieurs reprises, un des
deux rois, avec la reine et de nombreux gentilshommes, vint nous voir pour
son plaisir. Chaque fois, il s'arrêtait d'abord à un endroit du rivage distant
de nous de deux cents pas, et envoyait une embarcation nous aviser de sa venue
et de son désir de voir le navire; il agissait ainsi par mesure de sécurité.
Lorsqu'il avait reçu notre réponse, il venait aussitôt et demeurait un moment
à observer. Mais quand il jugeait insupportables les cla-meurs de la tourbe
des gens de mer, il envoyait la reine avec ses demoiselles dans une embarcation
très légère se reposer dans un îlot éloigné d'un quart de lieue. Quant à lui,
il demeurait très longtemps, discutant par signes et par gestes de sujets
divers, examinant tous les apparauxdu navire et s'enquérant de l'usage de
chacun; il imitait nos comportements et goûtait notre nourriture. après quoi,
il prenait courtoisement congé de nous. Parfois, quand nos gens passaient
deux ou trois jours dans un îlot proche du navire pour diverses tâches exigées
par la vie à bord, le roi venait, avec sept ou huit de ses gentilshommes,
observer nos opérations; et souvent il nous deman-da si nous comptions rester
longtemps en cet endroit, en nous offrant tout ce dont il disposait. Pour
nous distraire, il se livrait, avec ses gentilshommes, à des jeux divers,
tir à l'arc et course. Plusieurs fois, nous fîmes des reconnaissances de cinq
à six lieues à l'intérieur. Nous y trouvâmes le pays le plus agréable qu'on
puisse conter, apte à toutes sortes de cultures : froment, vin, huile. En
effet, des campa-gnes s'étendent sur XXV à XXX lieues, ouvertes et vides de
tout obstacle forestier, et si fertiles que ce qu'on voudrait y semer produi-rait
d'excellentes récoltes. Nous entrâmes ensuite dans les forêts, toutes pénétrables,
même aux armées les plus nombreuses; les arbres sont les chênes, les cyprès
et d'autres inconnus en Europe. Nous y trouvâmes des pommes de Lucullus ou
cerises, des prunes, des noisettes et quantités d'autres fruits différents
des nôtres. Les animaux y sont en très grand nombre : cerfs, daims, lynx et
autres espèces, que les gens d'ici, comme les autres, capturent avec des lacs
et des arcs, leurs armes principales. Ils façonnent leurs flèches avec beaucoup
d'art, plaçant leur extrémité, en guise de fer, une pointe de silex, jaspe,
marbre dur ou de toute autre pierre dure. Ces pierres leur servent aussi,
à la place du fer, pour couper les arbres, tirer de simples troncs creusés
avec une remarquable habileté leurs petites barques où quatorze ou XV hommes
prennent commodément place, et les rames courtes, mais larges, à leur extrémité,
dont le maniement par la seule force des bras leur permet d'aller en mer sans
aucun danger et à la vitesse qui leur plaît.