(L'isthme
de Verrazano. La Francesca) Nous quittâmes ce lieu et continuâmes à
suivre la côte, dont nous avons relevé l'orientation vers l'Est. Voyant tout
au long du rivage de très grands feux, indice d'une multitude d'habitants,
nous mouillâmes, faute d'abri, et, ayant besoin d'eau, nous envoyâmes à terre
la barque avec XXV hommes. D'énormes vagues brisaient sur une plage ouverte,
si bien qu'il fut impossible d'aborder sans risque de perdre l'embarcation.
Nous vîmes quantité de gens sur le rivage nous faire divers signes d'amitié
pour nous avertir quand nous étions prêts de toucher la terre. C'est alors
que je vis un acte magnifique, dont Votre Majesté va se rendre compte. Nous
avions envoyé à terre à la nage un de nos jeunes matelots, porteurs de quelque
pacotille, grelots, miroirs et autres cadeaux. Parvenu à quatre brasses de
ces gens, il leur lança ces objets. Ensuite, voulant s'en retourner, il fut
roulé par une vague qui le rejeta à demi mort sur la rive. Ce que voyant,
les habitants accoururent aussitôt : ils le prirent par la tête, les bras,
les jambes et le transportèrent à quelque distance en arrière. Se voyant ainsi
emporté, le jeune homme, saisi de terreur, poussa de grands cris; et eux criaient
aussi en leur langue, avec des démonstrations destinées à le rassurer. Alors,
l'ayant déposé à terre, au soleil, au pied d'un monticule, ils multipliaient
les gestes d'étonnement, considérant la blancheur de sa chair et examinant
en détail tout son corps. Ils le dépouillèrent de sa chemise et de ses chausses,
le laissèrent nu, puis ils allumèrent tout près de lui un grand feu et l'en
approchèrent. A cette vue les matelots qui étaient dans la barque restaient
saisis d'épouvante, comme toujours en présence d'une circonstance nouvelle;
ils croyaient que ces gens-là voulaient le faire rôtir pour le manger. Celui-ci,
ayant repris quelques forces après être resté un moment avec eux; leur exprima
par signes sa volonté de rejoindre le navire. Avec la plus grande amitié,
en le tenant étroitement embrassé ils l'accompagnèrent jusqu'à mer; ensuite,
pour le rassurer, ils se retirèrent jusque sur une colline assez haute et,
de là, continuèrent à le regarder jusqu'à ce qu'il fût remonté dans la barque.